Gérald Castéras

Fragment d’n.éide

 

L’n.éide est une forme inventée par Ian Monk. C’est une forme poétique potentiellement infinie. La forme adoptée ici se formule ainsi : « Chaque niveau est composé de x poèmes de x2 vers de x mots ». Par exemple, le niveau 8 (dernier niveau écrit) est composé de 8 poèmes de 64 vers de 8 mots.

1

(H)arpo

2

L’index

le majeur

et le

pouce droits

 

saisissent le

crayon pour

écrire ce

qui vient

3

Quand je commence

je ne sais

jamais où je

vais. C’est

troublant ce trou

noir devant moi,

ce puits d’

où surgira l’

inconscient caché, comme

 

disent les savants,

ceux qui savent

tout sur tout

et le reste.

Moi, je ne

sais pas où

je vais arriver.

A rien ou

à elle peut-être

 

dont j’ignore

le nom et

que je quête

en aveugle compteur

d’unités qui

formeront cette suite

théoriquement infinie de

poèmes mots comptés.

 

4

En hiver c’est

facile je m’assois

au coin de l’

âtre et je laisse

venir. Les mots sont

doux dans leur cocon

de sons, leur pesanteur

de chair, petits jésus

tout menus. Je les

cueille, je les cale

dans le fond de

ma crèche et j’

allume des cierges et

je leur chante « petit

Papa Noël » avec la

voix de Tino forte

 

Au printemps, ça bouge

et ça part en

tous sens il faut

courir très vite au

cul des mots si

on veut les attraper

et les fourrer comme

dit Queneau dans un

tube de verre. La

sève coule, c’est

le délire la transe

et forcément il faut

calmer le jeu poser

les mots au long

des branches du poème

pour qu’ils mûrissent.

 

L’été, j’écris

au soleil et nu

pour faire bronzer mes

vers et qu’ils

sonnent sans clocher. Jour

après jour, je les

accroche aux fenêtres de

ma maison. Ils flottent,

ils disent le temps

qui passe le sexe

qui passe et les

jardins qui passent et

les phrases qui passent.

Puis les vers se

logent dans les fruits

lorsque finit l’été.

 

En automne, les feuilles

tombent. Je les ramasse

et sur leur peau

humide encore, j’écris

des mots définitivement volages

des mots absolument vides

des mots désespérément gais

des mots tristement nuls

et je relis en

me disant : mais où

ça va, tout ça,

saison après saison ? Nulle

part sinon vers celle

dont j’ignore le

nom mais dont je

vois le visage déjà.

 

5

Je tends l’oreille et

je perçois son chant mineur,

ce chant qui frappe obstinément

l’enclume au marteau du

tympan, chant qui monte et

qui brise la glace en

moi comme dit Joseph Kafka,

reprise sans répit de la

règle que j’ai prise,

boucle ouverte vers l’infini.

Et de mes doigts, je

cogne sur le verre à

l’orée de chaque vers,

mes lèvres ouvrent la voie

et je me sens devenir

dans la nuit du silence

un lourd cheval de trait

traînant le soc au bout

de chaque sillon, aiguillonné par

l’homme qui inlassable compte

les pas de l’aller

et du retour sur soi

quand le soleil s’éteint

et que le jour meurt

et que le chant décroît.

 

(à suivre…)

Les lecteurs intéressés peuvent se manifester…

 

 

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